GAUDIUM / JOIE
Ie me contenteray de dire qu’on apelle Passions, des Emotions du sang & des esprits, jointes à quelques connoissances, & souvent à quelques volontez qui agitent l’Ame. Les principales passions sont l’Admiration, l’Emulation, l’Envie & le Mépris : L’Amour, le Desir, la Faveur, la Reconnoissance, & la Haine : l’Esperance & la Crainte, la Ioye & la Tristesse, la Colere & la Douceur, la Pitié & l’Indignation, la Honte & l’Impudence. [...] [p. 66] [...] La consideration du bien present fait naistre en nous la Ioye, dont i’aiouteray icy deux especes, la Mocquerie & la Raillerie. La Mocquerie est mèlée de haine & vient de la connoissance de quelque petit mal arrivé à une Personne que l’on en iuge digne. Pour la Raillerie, Aristote la définit en ces termes, Vne maniere galante de dire des iniures sans offenser. Les Philosophes remarquent que le ris accompagne ordinairement l’une & l’autre de ces Passîons, & generalement toutes les ioyes mediocres, iointes à l’admiration. On peut voir la doctrine du Ridicule dans Aristote & dans Quintilien. Mais pour la maniere de s’en servir Lucien, si ie ne me trompe, est celuy de tous les Anciens Auteurs qui l’a mieux connue. Voicy comme il parle de ces Mathématiciens, qui passent leur vie en la contemplation des Astres. Tu rirois trop de voir ensemble tant d’orgueil & tant d’ignorance. Car quoy qu’ils ne soient pas plus habiles que les autres hommes & que la plus part méme radotent, ils croyent penetrer dans le Ciel aveque leurs mauvais yeux, & mesurent le soleil & les Astres comme ils feroient leur Cour ou leur Iardin. Ils te diront hardiment la hauteur du Ciel, la distance [p. 67] qu’il y a d’une étoile à l’autre, encore qu’ils ne sachent pas le chemin qu’il y a d’Athenes à Megare. Ils forment des Cercles & décriuent plusieurs spheres là haut, comme s’il y a avoient été. Quelques-uns croyent que les étoiles se nourrissent des vapeurs de la terre & de la mer, d’autres s’imaginent que la Lune est habitée & ne cessent d’en prendre la mesure, comme s’ils luy vouloient faire un habit.
[...] [p. 80] [...]
Comme les Latins nomment Congratulation, ce que nous appellons Coniouyssance, lors qu’on se reiouyt avéque ses amis, du bien qui leur est arrivé, ils nomment pareillement nos Condoleances, lamentations quand nous deplorons ou nos maux, ou les maux des autres. La premiere sorte de ces Discours a ordinairement trois parties, dont l’une fait voir nôtre ioye, l’autre la cause de nôtre ioye & la derniere nos vœux & nos desirs. On peut lire sur cela la cinquieme & la setiéme Epitre d’Isocrate, plusieurs de Ciceron à ses amis, & de ses amis mémes à luy : Enfin la Lettre cent-dix-huitieme & cent-vingt-quatriéme de Voiture. On peut encore par cette espece de discours juger de l’autre, où l’Orateur se plaint des maux qui l’affligent.