ABRUPTO (EXORDIUM EX) / EXORDE EX ABRUPTO
L’exorde, en général, ne doit point être véhément. La modestie, la douceur, la tranquillité, sont les caractères qui lui sont propres; il n’est pas temps de déployer le ressort du pathétique, lorsque la cause n’est pas encore bien connue. C’est pour cette raison que l’exorde admet le nombre et l’harmonie de la période, qui s’allie avec la situation de l’orateur et de son auditoire. Le seul exorde ex abrupto est une exception à cette règle.
On appelle ainsi l’exorde où l’on entre brusquement en matière. Lorsqu’une vive douleur, une grande joie, une indignation violente, ou quelqu’autre passion se trouve déjà dans le coeur de ceux qui écoutent, on ne risque rien d’éclater en commençant.
La dernière fois que Catilina parut dans le sénat assemblé, tous les sénateurs, instruits de ses desseins pernicieux, furent saisis d’indignation à sa présence; et ceux qui se trouvèrent près de la place qu’il choisit, s’en éloignèrent avec horreur. Alors Cicéron, qui, en qualité de consul, présidait l’assemblée, adressa au coupable ces foudroyantes paroles:
« Jusques à quand enfin, Catilina, abuseras-tu de notre patience? Combien de temps encore serons-nous le jouet de ta fureur? Quelles seront les bornes de l’audace effrénée qui t’emporte? Quoi! ni ces gardes posées de nuit sur le mont Palatin, ni les sentinelles distribuées dans la ville, ni la consternation du peuple, ni ce frémissement général des citoyens vertueux, ni ce lieu fortifié [p. 83] où s’assemble le sénat, ni ces visages irrités, ces yeux fixés sur toi, n’ont rien qui puisse t’émouvoir? Ne sens-tu pas que tes complots sont dévoilés? ne vois-tu pas, même dans le silence de tous ceux qui t’environnent, que ton crime est découvert? Tes actions de la nuit dernière et de la précédente, le lieu de l’assemblée, ceux qui la composaient, les projets qu’on y a formés, crois-tu qu’aucun de nous les ignore? O siècle! ô moeurs! le sénat le sait, le consul le voit: et ce traître respire! Que dis-je, il respire? il met dans le sénat un pied téméraire; il a part aux secrets de l’État; il marque, il destine de l’oeil chacun de nous à la mort! Et nous, etc. »
Si l’accusateur de Catilina eût commencé tranquillement son discours, il aurait attiédi et peut-être éteint l’émotion des auditeurs; mais il profite habilement de la disposition où il les trouve, il augmente la chaleur de leur indignation, et jette en même temps le trouble et la crainte dans l’ame de l’accusé.
Quant on lit les Catilinaires, sans cesse on applique à Cicéron ce qu’il a dit de Démosthène (Orat., c. 7): « Il remplit l’idée que je me suis formée de l’éloquence, et il atteint ce beau idéal, ce haut degré de perfection que j’imagine, mais dont je n’ai jamais trouvé d’autre exemple. »