Bary, 1660 : La Rhetorique Francoise

Définition publiée par Dylan VANOTTI

René Bary, La Rhetorique Francoise Ou L'On Trouve de nouveaux Exemples sur les Passions & sur les Figures. Ou l'On Traite à Fonds de la Matière des Genres Oratoires, Paris, Pierre le Petit, 1660, première partie, « Des preuves sans artifices », p. 5, « Des preuves artificielles & des argumens », p. 15, « Petites Remarques sur les Preuves », p. 98

DES PREUVES SANS ARTIFICE.

Des Loix.

La loy reçoit divers noms, on l’appelle Plebiscite, Senatus consulte, Ordonnance, Edit, Response, & ces diverses dénominations proviennent des diverses qualitez de ceux qui font les loix.

La loy est double, l’une est écrite & l’autre ne l’est pas.

La loy qui est écrite, c’est ce qui est promulgué pour le bien des peuples.

Et la loy qui n’est pas écrite, c’est ce qui est enseigné par la nature, & prescrit par l’usage.

Antigone dans Sophocles tombe d’accord qu’elle a contrevenu à loy de Creon; mais elle allegue pour deffense qu’elle a suivy en cela une loy plus considerable que la sienne.

Si donc ce qu’on allegue contre nous est écrit, il faut representer que l’équité est fixe, & que la loy est changeante; Que l’une est infaillible, & que l’autre est peccable; Que la bonté des loix écrites dépend des circonstances, & qu’encore qu’un Legislateur ait l’esprit merveilleusement estendu, il est impossible qu’il puisse prevoir tout ce qui peut intervenir.

Et si ce qu’on allegue contre nous est contraire à quelqu’autre loy, il faut considerer si la loy combatuë est plus juste que la loy alleguée.

Il faut considerer les motifs de la loy contrainte.

Il faut considerer si ces mesmes motifs sont encores subsistens.

Si la loy écrite est advantageuse à nostre cause, il faut dire qu’il est permis d’éclaircir la loy; mais qu’il est deffendu de s’en dispenser.

Qu’on ne peut negliger la loy qu’on ne ravalle l’authorité de celuy qui la faite, & par consequent qu’on n’excite la licence de mal-faire.

Qu’il faut suivre la loy ou l’abolir.

Que la preference d’un sens particulier à l’acceptation publique d’une loy, est un atentat à la jurisprudence.

Que la partie adverse doit rapporter simplement la loy ou ne la rapporter pas. Et qu’il est aussi ridicule à un Advocat de controller un Legislateur, qu’il est indecent a un apprentis de censurer un maistre.

Que si la loy qu’on a citée contre nous est ambiguë, il faut rechercher dans les subtilitez de la Jurisprudence les moyens de la rendre favorable.

 

Et si cette recherche ne réussit pas, il faut representer que la clarté est de l’essence de la loy, & que ce qui peut estre diversement expliqué, peut estre aussi advantageux à l’injustice qu’à la raison.

 

DES PREUVES ARTIFICIELLES.

Des Argumens.

L’Argument est un discours dans lequel on infere une chose d’une autre.

Les termes font les propositions, & les propositions font les Arguments.

Les propositions sont simples, ou composées, generales ou particulieres, affirmatives ou negatives.

Si la proposition est generale, elle est appellée These.

Si elle est particuliere, elle est appellée Hypothese.

Si on advance une proposition par maniere de doute, la chose proposée est appellée Question ou Problesme.

On considere en un argument le moyen, la matiere & le mode.

Si on le considere au respect du moyen, la situation du terme, d’où dépend sa consequence, le reduit sous telle ou telle figure.

Si le moyen est sujet dans la premiere proposition & attribut dans la seconde, il est de la premiere.

S’il est attribut dans la majeure & dans la mineure, il est de la seconde.

Et s’il est sujet dans les deux propositions, il est de la derniere.

Si on le considere au respect de la matiere, il est demonstratif, probable ou sophistique.

Et si outre les envisagemens dont je viens de parler on le considere au respect du mode, c’est à dire de son estenduë & de son racourcissement, de son affirmation, & de sa negation: ou il est des dix-neuf manieres d’argumenter, qui se referent aux trois figures: ou il est Induction, Exemple, Enthymeme, sorite, Dilemme, ou Dénombrement.

 

PETITES REMARQUES SUR

les preuves.

C’est mal raisonner, que de tirer de certaines équivoques, le sujet de quelque loüange. Et ainsi il est ridicule de dire, qu’il faut qu’il y ait quelque chose d’excellent aux souris, puis que la Foste si solemmelle des Mysteres a esté appellée du mot de Mystere, que le mot de Mystere vient de Mys. Et que le mot de Mys. signific une Souris. Il y a des équiuoques de participation, je l’avouë, il y a des remarques d’Analogie, je le confesse: mais puis qu’il n’y a point de rapport entre un Mystere & un insecte, entre une Feste & un animal, & que l’autre espece d’équivoque n’a point de lieu icy, il faut confesser que l’équivoque d’aventure y a place, & que c’est fonder une loüange sur une bizarerie. Si le blasme estoit justement fondé sur les équivoques de hazard, on pourroit dire aussi qu’il y auroit quelque chose de méprisable aux Gensdarmes puis que la paille qui avilit le prix des diamans, est appellée du nom de Gendarme. Mais les Gendarmes exposent leur vie pour la nostre, & c’est à leurs travaux que nous devons nostre tranquillité.

Quoy que les Proverbes soient receus, il y en a pourtant sur lesquels on ne peut fonder une juste loüange. Et ainsi celuy-là fonde mal la loüange du chien, & du chat, qui sur le Proverbe qui dit qu’il est honteux de n’avoir chez-soy ny l’un ny l’autre, conclud que ces bestes sont honnorables, j'avouë qu’il est honteux de refuser quelque chose aux animaux domestiques; mais si les bestes ausquelles on donne à manger contribuoient quelque chose à l’honneur, il s’ensuivroit qu’il y auroit de l’honneur à laisser quelque chose à ronger aux rats & aux souris, & que les plus glorieux hommes du monde, pourroient tirer quelque surcroist d’estime des animaux les plus vils & les plus veneneux.

On raisonne mal, lors qu’on infere d’une connoissance détachée, une entiere connoissance. Et ainsi, il ne s’ensuit pas, par exemple, que celuy qui connoist les lettres d’vn vers difficile, ait l’intelligence de ce qui resulte de l’union des lettres qui le composent, puis que tel connoit les lettres qui ne sçait pas assembler, & que tel sçait assemble qui ne connoist pas l’essence de la chose qui est signifiée par la composition du mot.

Il ne faut pas juger de la malignité du simple, par la malignité du double. Toutes les choses sont receuës selon la disposition des recevans, & en matiere d’alimens, les choses ne sont bonnes que selon une certaine mesure, deux œufs frais par exemple, sont bons à un malade, mais quatre œufs luy sont nuisibles.

Comme il y a des propositions qui sont vrayes en un sens, & qui sont faussës en un autre, il ne faut pas que la conclusion soit fondée sur le dernier sens. Un Fils doit vanger la mort de son Pere, cette proposition peut estre raisonnable, mais il ne s’ensuit pas que parce qu’une femme a tué son mary, le fils doive tuer sa mere.

Celuy qui examine le crime dont il est accusé, semble ne l’avoir pas commis, mais comme tel tombe d’accord de la propostion generalle, qui trouve de la repugnance à se conformer à la proposition particuliere. Tel aussi tombe d’accord, par example, que c’est un grand crime que le meurtre, qui trouve de la difficulté à vaincre la passion qu’il a d’assassiner son ennemy.

Encores que selon la maxime ordinaire, celuy qui renferme le plus, renferme le moins, neant moins, tel n’a pas de peine pour des crimes horribles, qui en a pour des crimes ordinaires. Et ainsi ce n’est pas tousiours bien conclurre, tel est méchant, donc tel est larron.

Il est ridicule de confondre les choses qui arrivent par accident, avecque celles qui arriuent par intention. Et ainsi Polycrate fonda mal ses loüanges, lors qu’il fit le panegyrique des rats & des souris, & qu’il entreprit de prouver que l’estat avoit une particuliere obligation à ces bestiolles. Il est vray qu’en temps de guerre elles avoient comme desarmé les ennemis, qu’elles avoient rongé les cordes de leurs arcs, mais, qui s’aviseroit de prendre pour un signe de haïne, un effet de faim, de prendre pour une preuve de partialité, une marque de misere.

Comme les motifs peuvent estre differens, on raisonne, mal quand on dit. Les adulteres courrent toutes les nuits, un tel fait les mesmes courses: donc un tel est entaché du mesme crime. Les liberaux donne, done un tel est liberal.

C’est user d’une estrange Logique que de juger de l’imprudence de ce qui précede par le hazard de ce quisuit, & ainsi Demades avoit tort d’imputer à Demosthene les mal-heurs de l’ Estat, & de tirer la preuve de son accusation de ce que la guerre survinst dés que Demonsthene eut entrepris la direction des affaires.

On ne doit pas tirer une consequence affirmative d’une proposition douteuse, & ainsi c’est mal raisonner; Il a battu des personnes libres comme des esclaves: donc il est insolent, la raison est que les battus ont pû estre les aggresseurs, & qu’en ce sens le fait est de droit naturel.

Il ne faut pas confondre le souvent avecque le tousjours, & ainsi c’est mal argumenter, la passion de plaire, metamerphose les vices en vertus, donc l’amour est une belle passion, la raison est que toutes les amours ne sont pas legitimes, que les inclinations sont differentes, & que pour plaire à une femme; il faut quelquesfois violer toutes choses.

Une action n’est pas loüable; lors qu’elle peut se rencontrer au plus méchant homme du monde, & ainsi c’est mal prendre les choses, que de dire qu’un homme n’est pas honneste homme, s’il ne fait du bien à ses amis, parce qu’il semble qu’il veüille dire que cotte action est une suitte de l’honnesteté. Et cependant il arrive souvent que les méchans font du bien à leurs semblables.

La proposition est douteuse, lors qu’elle peut estre combattuë par une proportion rationnelle, & ainsi c’est faire une proposition generalle, d’une verité contingente que de dire, que toutes les personnes qui sont indignement traittées gardent tousjours leur rancune, puis que comme le bon traittement trouve quelquefois des ingrats, le mauvais traittement peut trouver quelquefois des indulgens. Sur ce qu’Iphicrate vit qu’on vouloit obliger son fils qui n’estoit encores qu’un enfant à s’acquitter des devoirs d’un Citoyen, à cause disoit on, qu’il avoit la corporance d’un veritable homme, il opposa la proportion rationnelle au dessein qu’on avoit formé. Si vous pretendez, dit-il, faire passer des enfans pour des hommes faits à cause qu’ils en ont la taille, il faut que vous fassiez passer les petits hommes pour des enfans à cause qu’ils en ont l’apparence. Un ancien trouva un jour mauvais qu’on eust de la justice pour quel-ques-uns, & qu’on eut de l’indulgence pour quelques autres, & pour appuyer sa condamnation, il se servit de la proportion rationnelle. Si vous recompensez, dit-il, les soldats, qui ont bien servy, il faut que vous punissiez ceux qui ont deserté.

Quand on pose une chose comme incroyable, on doit tirer les preuves de la chose, de la science qui en traitte, & lors qu’on les tire de quelqu’autre endroit, elles sont ordinairement plus spirituel les que judicieuses. Androcles Pitheus, au rapport d’Aristote, s’esleva contre une loy qu’on vouloit faire passer par violence: & comme sur ce qu’il dit que toutes les loix que le peuple faisoit, estoient si mauvaises qu’elles avoient tousjours besoin de quelques autres loix pour les corriger, le peuple sestonna d’une si estrange proposition, Pitheus répondit avecque plus de gentillesse que de force, qu’il n’y avoit rien d’extraordinaire en cela, puis que le poisson qu’on tire d’une eauë salée, avoit besoin luy-mesme de sol.

C’est un grand vice dans le discours, de prendre pour fondement de la conclusion le sujet de la dispute & de se servir de certaines raisons qui sont en mesme temps, & foibles & honteuses, Il n’a que faire de dire, dit un ancien, qu’il n’est pas capable d’un si grand crime, si j’ousse esté en sa place, je ne m’en fusse pas deffendu, ce raisonnement combat la Legique, & la pudeur, car outre que c’est poser ce qui est en debat c’est fonder le crime de l’accusé, sur la méchanceté de l’accusateur, & confesser par consequent ce qu’on devroit cacher.

Une conclusion est comme puerille quand elle dépend d’une proposition trop éloignée, Et ainsi celuy là fait une plaisante gradation, qui dit, que la folie est la mere de tous les maux, qu’elle enfante une infinité de desirs, que ces desirs sont immoderez, que ces desirs immoderez r’enferment l’avarice, que l’avarice porte à toutes sortes d’extremitez, & par consequent que la folie est la mere de tous les maux. On rapporte une autre gradation qui est anssi niaise que la precedente. Il n’est pas hors de propos de la rapporter aussi si les grosses pieces de sapin n’eussent point esté abbatuës à coups de bache dant le bois de Pelio, on n’eut pas batty le. Navire d’Arges, qui a porté la fleur des Argonautes, à la conqueste de la Toison d’or. Et si ce Navire n’eust point esté construit ma maistresse Medée qui erre maintenant triste & desolée ne seroit pas dans le déplorable estat où elle est reduits, & ainsi les grosses piece de bois de sapin qui ont esté couppées pour la construction du Navire d’Argos sont les eauses de son affiction & de la mienne.

On ne doit pas fonder le fort de sa deffense sur propositions dont les suites les combattent; & ainsi cés Enthymemes ne sont pas bien considerables; Il a peché par jeunesse, par colere, donc il est pardonnable. Car si ces argumens estoient receus, la pluspart des crimes seroient impunis.