NARRATIO / NARRATION - RÉCIT - RELATION DES FAITS
DE LA NARRATION.
La narration consiste en l’exposition du fait.
Il y a cinq sortes de narrations: la premiere est propre ou judiciaire, la seconde est digressive, la troisiesme est fabuleuse, la quatriesme est romanesque, & la derniere est prophetique.
Dans la premiere, on adjuste les choses de telle sorte, que chaque point contribüe, au gain de la cause.
Dans la seconde, on s’écarte un peu de son sujet, afin de l’éclaircir ou de l’orner.
Dans la troisiesme, on applique le sens caché d’une chose qui ne peut estre, ou à l’intention de celuy qui parle, ou au sujet dont il traite.
Dans la quatriesme, on represente comme arrivé ce qui peut arriver.
Et dans la derniere, on raconte avec tant de vray semblance les choses qui arriveront, qu’on dispose les auditeurs à recevoir ou rejetter, à faire ou ne faire pas, ce qui est conforme ou repugnant aux propheties.
On considere, trois choses dans le recit. On y considere la matiere, les parties, & la disposition.
La matiere de la narration est vraye, possible, ou fabuleuse.
Les parties de la narration, sont les personnes, le temps, le lieu, l’action, le moyen, la maniere, & la fin.
Et la disposition de la narration est l’arrengement des choses.
Il y a six sortes de dispositions. On garde dans la premiere la suite des temps, & cette disposition est directe ou historique.
On débute dans la seconde, par le milieu ou par la fin, & cette disposition est indirecte ou romanesque.
On reduit d’abord dans la troisiéme, la matiere de la loüange on du blasme, à trois ou quatre points.
On ouvre le discours de la quatriéme, par les choses les plus considerables.
On commence dans la cinquiesme, par les choses les plus utiles.
Et on ajuste les choses dans la derniere, selon le lieu, le temps, & les personnes, & cette disposition dépend de la prudence de l’Orateur.
Les narrations doivent estre succintes, parce que l’entendement juge sur les especes des choses, & qu’il est mal-aisé que la memoire soit chargée, & que l’esprit soit libre: Et quoy qu’elles soient quelquesfois longues au regard du fait, elles sont tousjours courtes au regard de l’Orateur, lors qu’il débute par les choses necessaires, & qu’il évite les digressions & les redites.
Elles doivent estre claires, parce que la netteté contribüe à l’intelligence des auditeurs, & qu’on écoute ordinairement sans ennuy, ce qu’on entend sans embarras: Et elles seront revestües de cette perfection, si on observe l’ordre des choses & des temps, & si on évite les barbarismes, les équivoques, & les amphibologies.
Elles doivent estre probables, parce qu’il faut disposer l’auditeur à recevoir favorablement les consequences qu’on pretend tirer, & qu’on est mal disposé à estre du party d’un homme, dont la narration a quelque chose d’incroyable, & elles seront accompagneés de cette circonstance, si la raison des conseils, la condition des personnes, & la nature des actions, semblent estre de concert avec la distance des temps, la qualité des saisons, & la nature des lieux.
Et elles doivent estre excitantes, lors que celuy qui parle se propose d’inspirer la rigueur ou la pitié, parce que le jugement du juge ne roule pas moins sur les Images du recit, que sur celles des preuves, & que les premieres images fout souvent de fortes impressions: Et elles seront capables de favoriser le dessein de l’Orateur, si on s’arreste un peu sur les principaux endroits de l’exposition, si on amplifie ou extenüe ce qui peut servir, si on employe l’emphase ou l’exclamation, & si on conforme enfin la voix & le geste, aux choses & aux figures.
DE LA NARRATION.
Aristote dit que dans le genre demonstratif la narration ne se fait que par reprises. Il est vray qu’on loüe les actions les unes apres les autres, mais on pourroit dénombrer les vertus dont on entreprendroit les éloges, & rapporter les preuves conformément à l’ordre qu’on auroit proposé.
Il dit que dans le genre judiciaire, il faut faire en sorte que la narration renferme des circonstances qui puissent découvrir la probité de celuy qui parle, & la méchanceté de celuy qui contrarie.
Il dit encore que celuy qui se deffend, doit estre plus court que celuy qui accuse, pourveu qu’il demeure d’accord du fait, & qu’il ne soit en differend que de la qualité de la chose.
Il adjouste à cela que la narration, dans le mesme genre peut estre respanduë en plusieurs endroits; mais mon opinion est, qu’il vaut mieux la renfermer dans son lieu, ordinaire que de la distribuër, La raison est, qu’apres avoir fait monstre du fait, on joint chaque preuve à chaque point & qu’en repetant methodiquement dans la confirmation, les fondemens de la cause, on donne lieu au juge de juger nettement de la chose.
La raison est, encores qu’en ne donant pas une idée tout de suitte de la chose dont il s’agit, on travaille l’esprit des juges, & qu’on leur oste la facilité de faire un parfait rapport des preuves avec la question.
Aristote dit, qu’on ne doit point faire de narration, dans le genre, déliberatif, parce qu’il regarde l’avenir, & que si on en fait, elle doit estre fondée sur le passé, neantmoins comme ceux qui écoutent peuvent ignorer les advantages qu’on le propose; les évenemens qu’on craint, & les maux qu’il faut combattre, il me semble qu’on doit representer le suiet de la déliberation & que si on rapporte des exemples, ils doivent estre placez dans le lieu des preuves.