STYLUS / STYLE
PETITES OBSERVATIONS
sur le style.
Il est impossible de plaire à tout le monde, les gousts sont differens.
Qui seroit à l’épreuve de la censure? puisque les plus grands prosistes, & les plus grands versificateurs ont eu leurs critiques?
On dit que l’air antique est trop répandu dans Saluste,
Que Seneque est trop meslé de pointes, d’Epithetes & d’Antitheses, & qu’il est mesme trop brisé.
Ciceron & Demosthene ont esté accusez d’affectation, de prolixitè & de molesse.
On a trouvé de l’obscurité dans Thucidide.
De la secheresse dans Pline le jeune, & de l’air de Padouë, dans Tite-live.
Les Poëtes, comme j’ay desja dit, n’ont pas este exempts de censeurs.
On trouve qu’Ausonne est rude qu’Ovide est negligé, que Lucain est fougueux, que Stace est enflé, que Plaute est moysi, que Terence est presque aussi serieux que Comique, que Catule est languissant rempant, contraint, que Pontanus est licentieux, que Sabinus est l’ombre d’Ovide.
Les manieres de parler comme estrangeres sont agreables, dit le Philosophe, parce qu’elles sont nouvelles, & que la nouveauté plaist, quand Aristote parle des manieres de parler étrangeres, il parle en cet endroit des façons de parler metaphoriques.
Le style simple doit estre dépourveu d’ornement, mais il ne doit pas estre depourveu de pureté de netteté.
Le style mediocre doit estre pur, net articulé, lié, & embelly.
Le style sublime doit estre pur, net, articulé, lié, orné, bruyant & pompeux.
Dans le dernier style, on doit employer les définitions au lieu des mots simples, on doit preferer le pluriel au singulier, on doit finir ses mets par des lettres, dont le son est grave & éclatant on doit user de grands mots, on doit affecter de grands adverbes, on doit se servir des superlatifs, on doit enfin encherir sur les mots.
On doit employer les deffinitions au lieu des mots simples, & ainsi au lieu de dire ce que je vous represente est un cercle on doit dire la chose dont je vous entretiens, est une surface qui est de tous costez, légallement distante de son centre.
On doit preferer le pluriel au singulier & ainsi, au lieu de dire le port d’Achaïe, comme rapporte Aristote, il faut dire les ports.
On dot finir ses mots, par des lettres dont le son est grave, & éclatant, & ainsi au lieu de dire, il est riche, il faut dire, il est opulent, il est coureur, il faut dire, il est vagabond.
On doit user de grands mots, & ainsi au lieu de dire le bon-heur, il faut dire le contentement, la satisfaction, la felicité, la beatitude.
On doit affecter de grands adverbes, & ainsi au lieu de dire, il le fera bien, il faut dire, il le fera parfaitement.
On doit se servir des superlatifs, & ainsi au lieu dé dire qu’une chose est bonne, il faut dire qu’elle est excellente.
On doit enfin encherir sur les mots, & ainsi au lieu de dire il est brisé, il est rompu, il faut dire, il est rompu, il est brisé il est fracassé.
Le style froid renferme bien des deffauts, il renferme les mots doubles, les mots inusitez, les grandes epithetes, les Epithetes disconvenables, les Epithetes frequentes, les Epithetes inutiles.
Les mots doubles, comme le Ciel porte flambeau, la terre porte-montagne, il faut remarquer neantmoins que passetemps, que contrefait, que porte manteau, & cent au tres mots doubles sont en usage.
Les mots inusitez, comme si l’on disoit le Roy est au divan, pour dire au conseil.
Les grandes Epithetes comme les loix sont les Reines des Estats.
Les Epithetes disconvenables, comme sous la calotte du Ciel, au lieu de la rondeur.
Les Epithetes frequentes, comme dans l’ardeur consumante qui porte enfin mon bras à une action sanglante pour me venger d’une injure atroce.
Les Epithetes inutiles, comme une humide sueur, un laict blanc, vue ancre noire,
Il faut que le style renferme le caractere de la chose dont on discourt, de sorte que s’il s’agit d’une offence, d’une injure, il faut que les paroles soient aigres & piquantes, qu’elles soient tansost brusques, & tantost pompeuses.
Il ne faut pas que celuy qui parle, parle toûjours selon l’air de sa nation, si l’Empereur Constant eust suivy cette regle, il n’eut pas parlé aussi poliement devant les Sarmathes, que, devant les Romains.
Il faut que celey qui fait parler quelqu’un le fasse parler selon sa condition? le Sophiste Theon, loüe Homere de ce qu’il observe le decorum, & on condamne Euripide de ce qu’il fait dire à Hecube des discours trop relevez, Urfe est tombé dans le deffaut de ce poëte, car des Beregers, il en fait des Philosophes.
Il faut que le style Dogmatique abonde en exemples, en redittes, & en Polionimies, Jesus-Christ, ne parloit pas Hebreu, lors qu’il enseignoit, il parloit Syriaque, c’est à dire qu’il faut quelquesfois preferer les expressions grossieres aux delicates.
Quoy que le peuple ne soit pas bien intelligent, & que son insuffisance demande des dictions vulgaires; neantmoins lors qu’il s’agit de le porter à quelque entreprise, Tacite dit qu’il se laisse gagner aux parolles empoullées.
Ciceron dit, qu’il faut que la diction du bareau soit forte, & que celle de la dispute soit temperés.