STYLUS / STYLE
Du Stile
Le Stile n’est autre chose que la maniere dont chacun s’exprime ; c’est pourquoy il y a autant de Stiles que de personnes qui écrivent : neanmoins comme ces diverses manieres de s’exprimer s’appliquent à trois sortes de matieres, l’une simple, l’autre un peu plus élevée, & la troisiéme grande & sublime ; il y a aussi, par rapport à ces matieres, trois sortes de Stiles, le Simple, le Mediocre, & le Sublime. Le Simple sert pour les Catechismes, & les Instructions familieres : le Sublime est reservé pour les Sermons reguliers : & le Mediocre, qui tient un peu de l’un & de l’autre, regarde les Homelies. Quant au Barreau, il demande le plus souvent du grand & du sublime.
Subsellia grandiorem & pleniorem vocem desiderant.
Chacun doit étudier son genie, & le fond de son naturel, à l’égard du Stile. Car tel reüssira dans le Simple, & dans le Mediocre, qui sera pitoyable dans le Sublime ; mais quel que soit le Stile où l’on s’applique, on doit toûjours y apporter une grande pureté d’expression & de langage, sans puerilité, sans bassesse, sans enflure ; & sans jamais perdre de veuë le bon sens, qui doit regner dans toutes sortes de Stiles. C’étoit l’avis que donnoit Saint Paul à son Disciple Timothée, en l’instruisant à la Predication de l’Evangile :
Proposés-vous pour modele les paroles pures & saintes.
Et Saint Augustin nous assure qu’il n’oublie rien, pour parler purement :
Ego in meo eloquio, quantùm modestè fieri arbitror, non prætermitto istos numeros clausularum.
Quand je parle de pureté de langage, je ne pretends point parler d’une certaine affectation de mots nouveaux, & de ces Phrases de Roman, qui sont tout-à-fait indignes d’un solide Orateur.
Ces mots nouveaux ont encore plus mauvaise grace dans la bouche d’un Orateur Chrétien. Judith s’habilla proprement pour tuer plus facilement le Tyran. Ainsi un Predicateur doit se servir d’un langage juste & propre, afin d’entrer plus aissément dans les esprits & dans les cœurs pour y détruire le peché : mais l’affeterie n’en est point.
Il est certain qu’une trop grande justesse, & une regularité trop exacte dans le stile & dans la composition, ne feroient pas un fort bon effet : & des Sermons ou des Plaidoyés qui seroient écrits avec la même délicatesse que les Entretiens d’Ariste & d’Eugene, plairoient sans doute sur le papier, mais ne toucheroient peut-être pas beaucoup. Un stile pur, mais naturel ; noble, point gêné, point contraint, est le veritable stile de la Chaire & du Barreau. Un discours trop compose embarrasse également celuy qui parle, & ceux qui écoutent : au contraire, un tour aisé, & même quelque petite negligence, cache l’Art de l’Orateur, rend son Eloquence moins suspecte, & fait croire qu’il ne parle que d’aprés nature.