AMOR / AMOUR
De l’Amour
Comme j’écris pour des Orateurs, & non pas pour des Philosophes ; je ne m’arrête point à expliquer la nature & les proprietés particulieres des passions. Il importe peu à l’Orateur de sçavoir que la joye se fait par la dilatation des esprits, la tristesse par la contraction, l’amour par la diffusion, & l’esperance par l’élevation de ces mêmes esprits : tout son but doit être d’exciter les passions qui peuvent contribuer à persuader ; & d’arrêter, ou plûtôt de rectifier celles qui luy sont contraires, & qui pourroient empêcher l’effet de l’Eloquence. Ce n’est donc pas mon dessein d’expliquer icy ce que c’est que l’Amour, que tout le monde a ressenti jusques à present, & que personne n’a jamais pû connoître. L’Amour des Philosophes est, pour le moins, aussi aveugle que celuy des Poëtes. Plus on l’étudie, plus on l’ignore ; plus on le regarde, moins on le voit ; & plus on s’applique à le penetrer, plus il se cache, plus il se dérobe aux yeux des plus fins Connoisseurs.
Il s’est trouvé des Philosophes qui, pour se consoler de ne pouvoir comprendre la nature de l’Amour, ont crû que c’étoit une Divinité, qui ayant quelque chose d’infini, étoit au-dessus des lumieres de la raison humaine, laquelle est essentiellement finie & bornée. Les Platoniciens, par dépit, disoient que l’Amour étoit un Demon qui répandoit des tenebres dans l’esprit de ceux qui le vouloient penetrer, & qui s’échappoit à leur connoissance. Les Stoïciens prétendoient que l’Amour est la fiévre de l’Ame, qui a son froid & ses ardeurs ; ses langueurs & ses redoublemens ; ses excés, ses crises, ses fureurs.
Aristote un peu plus froid & plus moderé, & qui définit les choses les plus cachées, ne sçait comment s’y prendre pour expliquer l’Amour : tantôt il l’appelle un agrément, tantôt une inclination, tantôt une complaisance ; enfin ne sçachant à quoy s’en tenir, il avoüe sincerement que la nature de l’Amour ne luy est pas moins cachée que celle de l’Ame. D’autres Philosophes plus recens, disent que l’Amour est un mouvement de l’Ame vers les objets où elle trouve son repos & sa satisfaction : mais tout cela embarrasse plus le mystere qu’il ne l’explique ; & ce Railleur, qui disoit que l’Amour étoit un je ne sçay quoy, qui venoit de je ne sçay où, & qui s’en alloit je ne sçay comment, est peut-être celuy de tous qui a le mieux rencontré. Vouloir expliquer la nature & les proprietés de l’Amour, disoit un Ancien, c’est faire une anatomie à tâtons & dans les tenebres. L’Amour a toûjours été, & sera toûjours l’Enigme du cœur de l’homme ; & peut-être que pour le bien connoître, le meilleur est de l’ignorer. Mais laissons ce petit détail aux Poëtes ou aux Philosophes, & revenons au but de l’Orateur.
Il y a deux especes d’Amour, l’un bon & l’autre mauvais ; l’un pur & spirituel, & l’autre grossier & charnel : l’un surnaturel, & l’autre naturel. L’Amour pur, spirituel & surnaturel consiste en deux choses.
1. A aimer Dieu.
2. A aimer son prochain dans la vûë de Dieu. Le devoir de l’Orateur Chrétien est d’exciter l’Amour qui est bon, & d’arréter & d’étoufer celuy qui est mauvais. Voicy les motifs dont il pourra se servir pour exciter l’Amour de Dieu.
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L’Amour est le mouvement le plus naturel & le plus aisé du cœur de l’homme. Ce seroit même une violence pour luy de ne pas aimer, tant il est né pour l’amour : & s’il est né pour aimer, peut-il ne pas aimer celuy qui est uniquement aimable ?