Joseph de Jouvancy, 1710 : Candidatus rhetoricae

Définition publiée par Mattana-Basset

Joseph de Jouvancy, L’Élève de rhétorique (Candidatus rhetoricae, 1e éd. 1710, 1e trad. 1892), édité par les équipes RARE et STIH sous la direction de D. Denis et Fr. Goyet, Paris, Classiques Garnier, 2019, deuxième partie, "< De la deuxième partie de l'éloquence ou > de la disposition du discours", chap. V, "Règles à observer dans chaque partie du discours", art. III, "Du choix des preuves", p. 136-141. 

Définition publiée par RARE, le 05 juin 2020

ARTICLE 3

Du choix des preuves

 

Après la proposition et la division du discours vient la confirmation, dans laquelle on établit les preuves concernant la première partie annoncée, la seconde et la troisième (si c’est un plan tripartite). Il faut veiller à ce que chaque partie ait une proposition claire, qu’elle soit bien séparée des autres et que l’on passe de l’une à l’autre par une transition appropriée.

Les preuves, comme nous l’avons déjà dit, sont renfermées, < ou bien dans le sujet même, telles sont celles que l’on tire de la définition, de l’énumération des parties, du genre, de l’espèce, etc., ou bien elles sont en dehors du sujet, telles sont celles que l’on tire des antécédents, des conséquents, de la similitude, de la comparaison et de l’autorité. Quand l’autorité est incertaine, venant de bruits répandus dans la foule [rumor], elle s’appelle renommée ; si elle a déjà été soumise à l’examen auparavant, elle s’appelle préjugé ; si elle est tirée des lois, des décrets, etc. elle s’appelle documents ; si elle est sanctionnée en jurant sur ce qu’il y a de plus sacré, c’est le serment ; si elle est arrachée par les supplices, c’est la torture ; si elle s’appuie sur la parole ou les écrits d’un honnête homme, c’est le témoignage.

Outre ces arguments communs, il y en a d’autres qui sont propres aux trois genres d’éloquence, démonstratif, judiciaire et délibératif. Ainsi, pour le genre délibératif et pour le judiciaire, les preuves doivent être tirées du juste, du légitime, de l’utile, de l’honnête, du facile, du possible, du nécessaire : vous ne persuaderez pas si vous ne montrez pas que la chose est possible, facile ; qu’elle n’a rien de contraire au devoir, qu’on en recueillera beaucoup d’avantages et de plaisir ; enfin qu’il en résultera des dangers et des malheurs imminents si on ne la fait pas. < Dans le genre de l’éloge, que les rhéteurs nomment épidictique ou démonstratif, vous louerez quelqu’un en tirant argument de ses parents, de sa patrie, de son courage, de ses actions, etc. Vous louerez une cité en tirant argument de ses fondateurs, des citoyens qui y habitent, des monuments qu’elle abrite, etc. ; vous louerez les arts en tirant argument de leur utilité, de leur dignité, de leur nécessité, etc. > 

Sans insister autrement, je conseille de ramener tout ce qu’on écrit à l’un de ces trois genres d’éloquence. Il en résultera qu’il n’y aura aucune pensée [sententia] qui ne puisse servir de sujet [argumentum] à six discours : vous conseillerez, ou vous dissuaderez ; vous louerez ou vous blâmerez ; vous accuserez ou vous défendrez. Cette abondance [copia] est merveilleusement utile, surtout quand on improvise. Il est facile de se faire une provision de raisons propre à chaque argument dans chaque genre de discours si l’on connaît bien les lieux oratoires.

Dans le choix des preuves il faut surtout tenir compte de celles qui touchent l’auditeur et qui sont appropriées à ses opinions, à son esprit, à sa condition, à son âge. Nous sommes tous séduits par les apparences fausses ou vraies de ce qui est bon, mais ce qui est bon pour moi ne l’est pas pour vous. Telle chose est utile à ceux-ci, telle autre agréable, honorable pour ceux-là, telle autre nous plaît et nous charme dans des circonstances différentes. Comme les hommes ne se laissent guider par les raisons que suivant les sentiments qu’ils éprouvent, il faut, en dehors des preuves qui éclairent notre esprit, exciter les passions, si le sujet [argumentum] le comporte, et ébranler la volonté < tâche qui revient en propre à l’amplification >. Pour cela, il sera fort utile de bien connaître les mœurs des hommes et la nature des mouvements de l’âme [perturbationes animi]. 

Pour chaque genre de cause, il faut exciter des passions différentes. Ainsi, veut-on persuader [suasio], on fera appel à l’audace, à l’espérance, au désir. Veut-on dissuader, on excitera la crainte, le désespoir, on conseillera de fuir. Veut-on louer, on excitera l’amour, l’admiration, l’émulation ou l’ardeur que l’on met à imiter. Veut-on blâmer, on excitera la haine et la violence. Si l’on défend quelqu’un, on fera appel à l’amour [amor] et à la clémence. >