Jean-Baptiste Crevier, 1765 : Rhétorique française

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Jean-Baptiste Crevier, Rhétorique française (1765), Paris, Saillant, 1767, 2 tomes, t. 2, p. 147-149.

De l’Antithese naît la pointe, & elle en est l’abus.

« Belle Philis, on désespere
Alors qu’on espere toujours. »

Les Rhéteurs se sont donné la peine d’examiner & de compter toutes les différentes manieres dont on peut tourner un mot, pour le présenter sous des sens différens, & produire ainsi des allusions ingénieuses : & ils en ont créé des Figures, dont chacune a son nom. C’est un travail dont l’objet est petit, & l’utilité encore moindre.
 

La pointe n'a guere lieu que dans l'Epigramme.

Disons plutôt que tout ce qui est jeu de mots est vicieux en soi, & ne peut trouver place dans un discours sérieux. Dans les sujets badins les jeux de mots & les pointes peuvent se souffrir, & quelquefois même avoir de l’agrément. La raison, dit Boileau, bannissant la pointe de tout écrit sérieux,   

« Par grace lui laissa l’entrée en l’Epigramme,
Pourvu que sa finesse éclatant à propos,
Roulât sur la pensée, & non pas sur les mots. »

Citons donc pour exemple une Epigramme, dont les pointes, car elle en a plusieurs, ne soient point de purs jeux de mots sans le mérite de la pensée.

« Le Traducteur qui rima l’Iliade,
De douze chants prétendit l’abréger.
Mais par son style aussi triste que fade,De douze en sus il a sçu l’allonger.
Or le lecteur, qui se sent affliger ;
Le donne au diable, & dit perdant haleine :
Hé finissez, rimeur à la douzaine.
Vos abrégés sont longs au dernier point,
Ami lecteur, vous voilà bien en peine.
Faisons les courts, en ne les lisant point. »


Des pointes de ce goût sont bonnes, quand il s’agit de badiner : il peut même être permis à l’Orateur de s’en servir pour égayer son style, mais rarement & bien à propos. Encore le mérite de faire rire sera-t-il toujours petit, comme je l’ai déja remarqué : & je ne trouve aucune pointe ni dans d’Aguesseau & Cochin, ni dans Bossuet, Massillon, & Bourdaloue.Fléchier en a fait une dans le texte même de son panégyrique de S. Benoît. Comme le nom de ce saint est en Latin Benedictus, l’Orateur a pris pour texte ces paroles de Dieu à Abraham : Egredere de terra tua, & de cognatione tua, & de domo patris tui : faciamque te in gentem magnam, & benedicam tibi, & magnificabo nomen tuum, erisque BENEDICTUS. Dans l’original le mot BENEDICTUS signifie béni : ici il rappelle le nom de Benoît. Je ne crois pas que cette pointe fasse envie à aucun Orateur judicieux.