CAUSA / CAUSE
Cause et Effet.
Ces deux idées sont très-différentes, si on les considére en elles-mêmes. Mais par rapport à l'usage qu'en fait l'Eloquence, elles se réunissent. L'effet se montre par la cause, & la cause par l'effet.
Je n'entrerai point dans l'explication détaillée des différentes natures de causes que les Philosophes ont distinguées, & que les Rhéteurs ont appliquées à leur sujet.
< Manchette : Cause matérielle.>
On sent assez que le vol devient plus important, si la matiére est riche :
< Manchette : Cause formelle.>
si l'art l'a élégamment façonnée, c'est un accroissement de prix, & par conséquent de crime dans l'auteur du vol.
< Manchette : Cause efficiente.>
La cause efficiente ou productrice est encore d'une grande considération & d'un usage très-familier. Tirer son origine d'une longue suite d'ayeux illustres, est une gloire parmi les [t. I, p. 58] hommes : une naissance ignoble est une humiliation.
< Manchette : Les causes finales sont d'un grand usage en Eloquence.>
Mais les causes finales sont sur-tout une source féconde de moyens pour l'Orateur dans le genre judiciaire. Si l'on veut prouver le crime, il faut lui fournir un motif. Car personne n'est présumé mauvais gratuitement & sans fruit : & c'est une grande avance pour rendre vraisemblable une mauvaise action, que de lui trouver un motif d'intérêt considérable. Ainsi dans un plaidoyer de M. le Chancelier d'Aguesseau <T. II. p. 518>, une femme à qui l'on imputoit de s'attribuer par imposture un nom & une naissance qui ne lui appartenoit point, repousse l'accusation par une possession suivie pendant le cours de seize années, sans qu'elle ait jamais pû recueillir, pendant un si long tems, aucun fruit de l'imposture. Ainsi au contraire M. Cochin <T. I. p. 427> ayant à prouver que le langage de dévotion employé par la Dlle. légataire du Marquis de Béon, étoit une feinte, fait voir que cette fraude avoit pour motif un grand & puissant intérêt. Le Marquis sentant que sa santé s'affoiblissoit, commençoit à songer à l'éternité : & le premier pas [t. I, p. 59] qu'il lui falloit faire pour une sincére conversion étoit d'éteindre sa passion criminelle, & de rompre avec celle qui en étoit l'objet. « La Dlle…, ajoute l'Avocat, qui pénétroit sans peine dans tous les mouvemens du Marquis de Béon, connut bientôt tout le danger auquel elle étoit exposée : mais elle trouva dans son esprit des ressources infinies. Sa conduite est un chef-d'œuvre d'imposture. Si elle avoit entrepris de détourner le Marquis de ces pensées salutaires, elle n'étoit pas sure de l'emporter sur l'impression que peut causer le spectacle d'une mort prochaine, & sa résistance pouvoit changer tous les sentimens passionnés du Marquis en des sentimens d'une juste indignation. D'un autre côté, si elle consentoit à s'en séparer, elle ne doutoit pas qu'elle ne fût bientôt oubliée, & qu'elle ne perdît en peu de tems le fruit de tant de criminelles complaisances. La cupidité est ingénieuse : il n'y a point de rôle qu'elle ne joue pour se satisfaire. La Dlle… parut entrer dans les vues du Marquis de Béon, & désirer elle-même qu'il [t. I, p. 60] se consacrât tout entier à la Religion. Bientôt les sentimens de piété devinrent en elle aussi vifs que l'avoient été ceux de l'amour. On auroit dit qu'elle n'avoit jamais parlé un autre langage, & qu'elle brûloit des feux de la charité la plus ardente. » Ce singulier mélange du langage de la dévotion & de celui de l'amour, fait peu croyable en lui-même, acquiert de la vraisemblance par le motif d'utilité que lui donne & qu'expose si habilement l'Avocat.