ELEGANTIA / ÉLÉGANCE
Définitions
325 av. J.-C. : Aristote
Aristote, De Arte Rhetorica libri tres, trad. lat. Marcantonio Majoragio (1514-1555, 1e éd. 1547?), Padoue, Presses du Séminaire, 1689, liber III, caput X, « De sexta virtute elocutionis, quae est, ut sit urbana », p. 381-388.
325 av. J.-C. : Aristote
Aristote, Rhétorique, trad. François Cassandre, 1re éd. 1654, La Haye, Isaac Vaillant, 1718, livre troisième, chap. X, « La façon de dire les choses Spirituellement », p. 416-425.
1662 : Jacques du Roure
Jacques Du Roure, La Rhétorique française nécessaire à tous ceux qui veulent parler, ou écrire comme il faut et faire ou juger : des discours familiers, des lettres, des harangues, des plaidoyers, et des prédications, Paris, chez l’Auteur, 1662, Troisième partie, p. 35-38.
1712 : Bernard Lamy
Bernard Lamy, La Rhétorique ou l’Art de parler (5ème éd., 1712), éd. Ch. Noille-Clauzade (1998), Paris, Florentin Delaulne, 1715, p. 103-104.
1765 : Jean-Baptiste Crevier
Jean-Baptiste Crevier, Rhétorique française (1765), Paris, Saillant, 1767, 2 tomes, t. 2, p. 17-48.
1782 : Pierre Thomas Nicolas Hurtaut
P. T. N. Hurtaut, Manuale rhetorices ad usum studiosae juventutis academicae, Exemplis tum Oratoriis, tu Poeticis, editio tertia, Paris, chez l'auteur, 1782, troisième section "De Elocutione", chapitre I "De serminis Elegantia", p. 143.
Dictionnaires et encyclopédies
Furetière
Ce qui rend un discours poli et agreable. Les Gallicismes enferment quelque élegance. Les Elegances Poëtiques servent aux écoliers à faire des vers.
Encyclopédie
[Voltaire]
Ce mot vient, selon quelques-uns, d’electus, choisi ; on ne voit pas qu’aucun autre mot latin puisse être son étymologie : en effet, il y a du choix dans tout ce qui est élégant. L’élégance est un résultat de la justesse & de l’agrément. On employe ce mot dans la Sculpture & dans la Peinture. On opposoit elegans signum à signum rigens ; une figure proportionnée, dont les contours arrondis étoient exprimés avec mollesse, à une figure trop roide & mal terminée. Mais la sévérité des premiers Romains donna à ce mot, elegantia, un sens odieux. Ils regardoient l’élégance en tout genre, comme une afféterie, comme une politesse recherchée, indigne de la gravité des premiers tems : vitii, non laudis fuit, dit AuluGelle. Ils appelloient un homme élégant, à-peu-près ce que nous appellons aujourd’hui un petit-maître, bellus homuncio, & ce que les Anglois appellent un beau. Mais vers le tems de Cicéron, quand les mœurs eurent reçû le dernier degré de politesse, elegans étoit toûjours une loüange. Cicéron se sert en cent endroits de ce mot pour exprimer un homme, un discours poli ; on disoit même alors un repas élégant, ce qui ne se diroit guere parmi nous. Ce terme est consacré en françois, comme chez les anciens Romains, à la Sculpture, à la Peinture, à l’Eloquence, & principalement à la Poésie. Il ne signifie pas en Peinture & en Sculpture précisément la même chose que grace. Ce terme grace se dit particulierement du visage, & on ne dit pas un visage élégant, comme des contours élégans : la raison en est que la grace a toujours quelque chose d’animé, & c’est dans le visage que paroit l’ame ; ainsi on ne dit pas une démarche élégante, parce que la démarche est animée.
L’élégance d’un discours n’est pas l’éloquence, c’en est une partie ; ce n’est pas la seule harmonie, le seul nombre, c’est la clarté, le nombre & le choix des paroles. Il y a des langues en Europe dans lesquelles rien n’est si rare qu’un discours élégant. Des terminaisons rudes, des consonnes fréquentes, des verbes auxiliaires nécessairement redoublés dans une même phrase, offensent l’oreille, même des naturels du pays.
Un discours peut être élégant sans être un bon discours, l’élégance n’étant en effet que le mérite des paroles ; mais un discours ne peut être absolument bon sans être élégant.
L’élégance est encore plus nécessaire à la Poésie que l’éloquence, parce qu’elle est une partie principale de cette harmonie si nécessaire aux vers. Un orateur peut convaincre, émouvoir même sans élégance, sans pureté, sans nombre. Un poëme ne peut faire d’effet s’il n’est élégant : c’est un des principaux mérites de Virgile : Horace est bien moins élégant dans ses satyres, dans ses épîtres ; aussi y estil moins poëte, sermoni propior.
Le grand point dans la Poésie & dans l’Art oratoire, est que l’élégance ne fasse jamais tort à la force ; & le poëte en cela, comme dans tout le reste, a de plus grandes difficultés à surmonter que l’orateur : car l’harmonie étant la base de son art, il ne doit pas se permettre un concours de syllabes rudes. Il faut même quelquefois sacrifier un peu de la pensée à l’élégance de l’expression : c’est une gêne que l’orateur n’éprouve jamais.
Il est à remarquer que si l’élégance a toûjours l’air facile, tout ce qui a cet air facile & naturel, n’est cependant pas élégant. Il n’y a rien de si facile, de si naturel que, la cigale ayant chanté tout l’été, &, maitre corbeau sur un arbre perché. Pourquoi ces morceaux manquent-ils d’élégance ? c’est que cette naïveté est dépourvûe de mots choisis & d’harmonie. Amans heureux, voulezvous voyager ? que ce soit aux rives prochaines, & cent autres traits, ont avec d’autres mérites celui de l’élégance.
On dit rarement d’une comédie qu’elle est écrite élégamment. La naïveté & la rapidité d’un dialogue familier, excluent ce mérite, propre à toute autre poésie. L’élégance sembleroit faire tort au comique, on ne rit point d’une chose élégamment dite ; cependant la plûpart des vers de l’Amphitrion de Moliere, excepté ceux de pure plaisanterie, sont élégans. Le mélange des dieux & des hommes dans cette piece unique en son genre, & les vers irréguliers qui forment un grand nombre de madrigaux, en sont peut-être la cause.
Un madrigal doit bien plûtôt être élégant qu’une épigramme, parce que le madrigal tient quelque chose des stances, & que l’épigramme tient du comique ; l’un est fait pour exprimer un sentiment délicat, & l’autre un ridicule.
Dans le sublime il ne faut pas que l’élégance se remarque, elle l’affoibliroit. Si on avoit loüé l’élégance du Jupiter-Olympien de Phidias, c’eût été en faire une satyre. L’élégance de la Vénus de Praxitele pouvoit étre remarquée. Voyez Eloquence, Eloquent, Style, Goût , &c.
Littré
Distinction dans le langage et le style qui, sans affectation ni recherche, résulte de la justesse et de l’agrément.
Vous parlerai-je de ces audiences où elle recevait les ambassadeurs, entrant dans les intérêts de chacun, et parlant à chacun sa langue, accompagnant les honneurs qu’elle leur faisait d’un air de grandeur et d’intelligence, et joignant toujours à l’élégance du discours les grâces de la modestie ? [Fléchier, Oraisons funèbres]
Au pl. Les élégances, sortes de phrases ou de tournures toutes faites recommandées pour leur caractère de distinction.
Notre langue fait consister la plupart de ses élégances dans les suppressions ; il ne faut pas tout mettre et tout exprimer ; il faut laisser agir l’esprit. [Vaugelas, Nouv. rem. observ. de M… p. 103, dans Pougens]
Dans le langage des classes, élégances, bonnes expressions ; ne se dit guère que pour le latin.
Les écoliers se servent des épithètes de Textor et des élégances poétiques pour faire leurs vers. [Furetière, Roman bourg. liv. II, p. 247]