Schola Rhetorica

Les âges de l'éloquence


  • Une histoire de la rhétorique :
    François Adolphe Dubourg, Des Prolégomènes de la rhétorique, Paris, Moquet, 1840, « Introduction – Histoire abrégée de la rhétorique », p. 1-7

Vers le commencement du Ve siècle avant l’ère chrétienne, apparut, au milieu des Grecs établis dans la Sicile, un art qu’on nomma la Rhétorique. Ceux qui les premiers en firent profession, les Syracusains, Corax et Tisias, puis le célèbre Gorgias de Leontini, disciples du philosophe Empédocle, avaient, dit-on, recueilli, soit de l’enseignement oral, soit des écrits de leur maître, les vues qui devaient servir de fondement au nouvel art. Bientôt le renom que cette invention donna aux Siciliens leur suscite des émules sur tous les points de la Grèce ; et partout des écoles des philosophes on voit sortir des rhéteurs. […] Dédaignant le vrai duquel les philosophes eux-mêmes leur avaient sans doute appris à désespérer, les rhéteurs ou sophistes, car à cette époque, ainsi qu’il arriva plus tard, ces deux dénominations furent bien souvent confondues, ne s’attachent qu’au vraisemblable dont l’empire sur l’opinion leur paraît assuré. […]

L’apparence d’immoralité que cet art, ainsi compris, semblait présenter, l’appui qu’il pouvait prêter aux ambitieux courtisans du peuple, aux méchants, lui valent et la réprobation de Socrate et l’inimitié de Platon. Ce dernier l’attaque dans le Phèdre comme frivole, inefficace et incapable d’atteindre ce qu’il s’est posé pour but. Dans le Gorgias, il paraît aller bien plus loin encore et, confondant cet art avec la politique à laquelle il servait parfois d’instrument – politique que, malgré l’anachronisme de l’expression, on pourrait appeler machiavélique –, il semble l’attaquer comme funeste et corrupteur. L’hostilité dont la philosophie poursuit ainsi, presque à sa naissance, un art qui pourtant était sorti de son sein, fut, comme nous l’apprend Cicéron, un de ces points assez rares, sur lesquels s’unirent toutes les écoles qui procédèrent de Socrate, c’est-à-dire, toute la philosophie grecque des temps postérieurs.

Une hostilité si redoutable, à laquelle la politique romaine joignit parfois sa réprobation, n’ébranla pas toutefois la rhétorique et n’arrêta point sa fortune. Elle resta toujours pour la Grèce entière et devient bientôt pour Rome technè, ars, l’art par excellence, l’art dont l’objet était si connu, et jugé si supérieur à tout autre qu’on se dispensait de l’indiquer. […]Bientôt après Aristote ne dédaigne point de recueillir ce qui lui paraît de quelque valeur dans la doctrine des premiers rhéteurs, peut-être trop sévèrement jugés par Platon. Puis il éclipse ou fait oublier leurs travaux. Du plan si large que son maître avait esquissé dans le Phèdre, il exécute tout ce qui se pouvait exécuter, et écrit cette rhétorique si substantielle, dans laquelle Bacon voyait le chef-d’œuvre du penseur que Dante appelle le maître de ceux qui savent. Après eux, après Théophraste, le disciple, le successeur d’Aristote, et qui, comme lui, écrivit sur la rhétorique, vous chercheriez en vain une école philosophique où de looin en loin, on ne compte au moins un ou deux rhéteurs. […]

Il est une remarque qui rend plus étrange encore la fortune de la rhétorique, et que l’on ne peut guère s’empêcher de faire en parcourant les interminables listes, et examinant les dates de tous les ouvrages que l’antiquité grecque et latine lui ont consacrés ; c’est qu’elle ne fut jamais plus cultivée qu’aux temps où l’on pouvait, ce semble, le moins la mettre en pratique. […] Denys d’Halicarnasse établit très bien dans un docte et curieux mémoire que la rhétorique d’Aristote ne parut qu’après que Démosthène eut prononcé et publié tous ses chefs-d’œuvre ; elle ne parut donc qu’au moment où la domination macédonienne affermie enlevait pour toujours à l’éloquence grecque ce qu’Isocrate et Aristote avaient jugé son plus nombre champ, l’Agora, et ne lui laissait d’autre lice que la plaidoirie vulgaire et les discours d’apparat, ou comme on les nommait, les Panégyriques.

On sait à quelle époque Cicéron composa ses trois grands traités sur l’art oratoire. Le de Oratore fut écrit à son retour de l’exil, cinq années seulement avant qu’éclatât la guerre civile : le Brutus et l’Orateur le furent sous la dictature de César. Quel temps restait alors dans Rome à cet art dont Cicéron publiait et l’histoire et la théorie ? Quelques années à peine, et juste ce qu’il fallait de temps au grand orateur pour écrire et payer de sa vie ses immortelles Philippiques, cette oraison funèbre de la liberté romaine, comme celles de l’orateur athénien l’avaient été des libertés de la Grèce. […]

Que dire maintenant des travaux de Denys d’Halicarnasse, de Quintilien, d’Hermogène et de Longin ? Quelle était, à l’époque où écrivaient ces judicieux et savants rhéteurs, la carrière ouverte à l’art oratoire ? Il en était une, il faut le dire, qui commençait à s’ouvrir ; et Longin l’entrevit peut-être, lui qui lisait les saints livres, citait le début de la Genèse comme éminemment sublime, et sous le nom d’Athlète du dogme qui ne se prouve point, mettrait Paul de Tarse à côté de Démosthène, d’Hypéride et de Platon.. Mais il est superflu d’en avertir, ce ne fut point en vue de cette éloquence nouvelle que travaillaient ces rhéteurs ; et leurs livres, si pleins de science et de goût, n’étaient, à vrai dire, que de précieux commentaires propres uniquement à faire sentir et comprendre, disons mieux, à faire admirer et regretter plus vivement l’art perdu de Démosthène et de Cicéron.

Toutefois, l’univers entier s’obstine à l’étude d’un art qui, dans les temps antérieurs, n’a compté que deux siècles d’éclat, l’un dans la Grèce, l’autre à Rome ; d’un art dont l’application digne et sérieuse devait paraître impossible. Dans l’empire grec, les querelles théologiques, au milieu desquelles cet empire traîne si longtemps sa défaillance et son agonie, n’empêchent point d’étudier le petit livre d’Aphtonius, et de commenter ou d’abréger Hermogène. […] Lorsqu’à la chute de l’empire, les lettrés de Byzance arrivent en Occident, ils y trouvent également la rhétorique en l’honneur. […] Dans l’Occident comme en Orient, l’on avait jusqu’à la fin [de l’empire romain] et sans plus de fruit et de raison apparente cultivé la rhétorique. Elle n’est point oubliée au moment où s’ouvre le moyen-âge, dans les compilations de ces hommes qui, comme Boëce et Cassiodore en Italie, Isidore de Séville en Espagne, Beda parmi les Anglo-Saxons, Alcuin en France, songent pieusement à recueillir, pour les transmettre au monde qui commence, les débris de la science du monde qui vient de finir.

Et quand avec l’université s’organise le système des études du moyen-âge, la rhétorique y est aussitôt introduite, et figure avec honneur dans la 1ère des deux divisions de l’enseignement, dans ce qu’on nommait le Trivium ; on sait sa fortune depuis l’époque célèbre que l’on a nommée la Renaissance. On sait avec quelle ardeur les érudits se mirent de toutes parts à débrouiller les textes et éclaircir la doctrine des rhéteurs anciens ; combien de fois leurs livres ont été commentés, traduits, et surtout résumés pour les écoles ; et par cette incomplète et rapide esquisse de l’histoire de la rhétorique, on voit que depuis son origine, elle a toujours été considérée comme une portion essentielle, comme un complément nécessaire de toute éducation libérale.


  • Une histoire de l’éloquence :
    Augustin Henry (abbé), Précis de l’histoire de l’éloquence, avec des jugements critiques sur les plus célèbres orateurs (1e éd. 1850), 3e éd., À la Marche (Vosges), 1854, 1 vol., Table des matières

Avertissement – Le Précis de l’histoire de l’éloquence est destiné aux classes de rhétorique. Il peut suffire à la rigueur ; mais les élèves l’apprendront avec plus de facilité et avec plus de fruit, s’ils se procurent, comme livres de lecture, les cinq volumes dont il n’est que l’abrégé. Il ne renferme point d’extraits ; or, c’est surtout par des citations qu’on sent le mérite des chefs-d’œuvre et que les appréciations littéraires sont bien comprises.

Première partie. Éloquence grecque – Chap. préliminaire. Idée générale de l’éloquence primitive ; idée générale de l’éloquence grecque. I. Premiers progrès (Solon, Pisistrate, Thémistocle). II. Rhéteurs et sophistes (Tisias, Protagoras, Hippias d’Elée, Prodicus, Zénon d’Elée, Gorgias de Léonte). III. Nouveaux progrès (Périclès, Lysias, Isée, Isocrate). IV. Perfection de l’éloquence grecque (Démosthène et Eschine, Phocion). V. Éloquence des écrits (Historiens : Hérodote, Thucydide ; Philosophes : Xénophon, Platon, Aristote). VI. Décadence : Démétrius de Phalère, éloquence asiatique (Dion Chrysostome, Longin), éloquence historique et philosophique (Polybe, Diodore de Sicile, Denys d’Halicarnasse, Flavius Josèphe, Plutarque, Lucien), dereiers orateurs du paganisme (Thémistius, Lilbanius).

Deuxième partie. Éloquence romaine – Chap. préliminaire. Idée générale de l’éloquence romaine. I. Premiers progrès (Caton, les Gracques, Antoine, Crassus, Cotta, Supitius). II. Perfection de l’éloquence romaine (César, Hortensius, Cicéron). III. Éloquence des historiens (Tite-Live, Salluste, Jules César, Velléius Paterculus, Tacite, Cornélius Népos, Quinte-Curce, Justin). IV. Décadence (Sénèque le philosophe, Quintilien, Pline le Jeune). V. Supplément : Éloquence de l’Écriture sainte.

Troisième partie. Éloquence des saints Pères – I. Pères apostoliques (Barnabé, Clément, Ignace, Polycarpe, Hermas). II. Pères apologétiques grecs (Justin, École chrétienne d’Alexandrie, Pantène, Clément d’Alexandrie, Origène) et latins (Tertullien, Minutius Félix, Arnobe, Lactance, Cyprien). III. Le siècle de saint Jean-Chrysostome : Pères grecs (Athanase, Grégoire de Nazianze, Basile le Grand, Jean-Chrysostome, Ephrem) et Pères latins (Hilaire de Poitiers, Ambroise, Jérôme, Augustin). IV. Moyen Âge, Île de Lérins (Salvien, Eucher, Vincent-de-Lérins, Léon-le-Grand, Grégoire-le-Grand, Bernard).

Quatrième partie. Éloquence moderne.

Première section : Éloquence de la chaire. – I. Premiers progrès (le père Le Jeune, François de Sales, Vincent de Paul). II. Siècle de Bossuet (Mascaron, Fléchier, Bossuet, Bourdaloue, Massillon, Fénelon, Cheminais, Giroust, La Rue). III. Décadence de la chaire, XVIIIe siècle (Petit Carême de Massillon, Poulle, Neuville, Beauvais, de Boismont, Bridaine). IV. Depuis la Révolution (de Boulogne, Frayssinous, Maccarthy, Guyon).

Seconde section. Éloquence du barreau. – I. Dix-septième siècle (Le Maitre, Patru, Erard, Pellisson). II. Première moitié du XVIIIe siècle (Le Normant, d’Aguesseau, Séguier). III. Seconde moitié du XVIIIe siècle (Loyseau de Mauléon, Élie de Beaumont, Target, Linguet, Gerbier, Lally-Tollendal, Beaumarchais, de Sèze). IV. Depuis la Révolution.

Troisième section. Éloquence académique. – I. Avant la Révolution (Fontenelle, d’Alembert, Thomas, La Harpe, Guénard, Rousseau). II. Au dix-neuvième siècle.

Quatrième section. Éloquence politique. – I. Assemblées de la Révolution, Constituante (Barnave, Mirabeau, Maury, Cazalès) ; Assemblée législative, Convention, Directoire (Robespierre, Danton, Marat, Vergniaud). II. Tribune française depuis la Révolution : règne de Bonaparte ; règne des Bourbons ; Chambre des députés, orateurs de la gauche (Manuel, Général Foy, Benjamin-Constant, Royer-Collard), orateurs de la droite (de Serre, de Villèle, de Martignac, Labourdonnaie, Laîné) ; Chambre des Pairs.

Cinquième Section. Éloquence des écrits. – Apologistes. Historiens. Moralistes.



                                                                                                                                                                                                                                Christine NOILLE